1997, dans une base censée être secrète, quelque part au Nouveau-Mexique, le président des États-Unis rencontre de hauts dignitaires de l’armée. Mais un mystérieux commando s’est également introduit dans la base, et s’apprête à tout faire sauter ! Pourtant, une troisième faction se manifeste et empêche la catastrophe de très peu…
Responsable de la sécurité du président, Kevin Nivek est désormais sur la sellette. Pourtant, cette situation déjà incompréhensible se complique davantage lorsqu’une mystérieuse créature semble impliquée.

Vingt ans après ma première lecture du chant des Stryges (CdS), ce premier tome conserve un parfum singulier : celui d’un thriller fantastique à la française qui se refuse à choisir vraiment entre espionnage, science-fiction et mystère. Corbeyran, alors au sommet de sa fécondité scénaristique, tisse une intrigue dense où les zones d’ombre comptent plus que les révélations. Une réappropriation intelligentes de procédés et thématiques typiques des années 90 (alors en pleine période X-Files Aux Frontières du Réel) Le résultat : un récit parfaitement lisible mais traversé d’un malaise diffus, propice à la fascination.
La galerie de personnages, bien que fondée sur des archétypes familiers — le garde du corps loyal, la femme d’action insaisissable, l’archétype du mentor au passé trouble — parvient à séduire par son efficacité narrative. Kevin Nivek (dont le nom palindrome souligne la dualité), incarne cette tension entre devoir et doute, action et fatalisme. Quant à l’Ombre (qui se fera appeler « Davis » à partir du tome suivant), véritable moteur de l’intrigue, elle impose une présence magnétique, sorte d’ange noir opérant à la frontière du mythe et du renseignement, même si ses interventions relèvent parfois du deus ex machina.

Guérineau livre un dessin réaliste et rigoureux, au service du récit. Si la mise en scène manque parfois d’audace, les compositions restent lisibles et dynamiques, grâce à un découpage minutieux alternant petites vignettes nerveuses et plans larges silencieux et saisissants. Ces derniers sont de véritables respirations visuelles et participent à l’équilibre général de l’album, conférant à certains moments une puissance quasi cinématographique. L’on notera également : un charadesign clair et identifiable, (essentiel pour une série à multiples enchevètrements scénaristiques), un trait réaliste et une narration graphique soucieuse de clarté plutôt que de virtuosité.
L’univers des Stryges s’ancre dans une Amérique crépusculaire de la fin des années 90, où la frontière entre réel et surnaturel semble s’effriter. L’ambiance, parfois légèrement invraisemblable (notamment dans la facilité avec laquelle certains lieux sécurisés sont infiltrés), n’en reste pas moins prenante et immersive. Corbeyran sait instiller une angoisse latente, un sentiment de menace invisible, prémices d’une mythologie tentaculaire qui s’étendra sur plusieurs séries dérivées.
En somme, “Ombres” ouvre avec assurance une saga ambitieuse. Malgré quelques rigidités graphiques, ce premier tome séduit par son efficacité narrative et son univers à la fois politique et ésotérique. Et ouvre sur une saga pleine de promesses !
