Batman Silence : thriller gothique et baisers volés

Batman Silence

Synopsis

Killer Croc a enlevé le fils d’une richissime famille de Gotham, et en demande une rançon. Bien que ce modus operandi ne soit pas dans ses habitudes, Batman intervient et parvient à sauver le garçon. Il échoue néanmoins à récupérer l’argent de la rançon… celui-ci étant dérobé par Catwoman !

S’en suit une course-poursuite sur les toits de Gotham City, jusqu’à ce que la corde de Batman ne soit mystérieusement coupée, faisant chuter le Chevalier Noir. Celui-ci ne doit sa survie qu’à ses alliés. Gravement blessé, il réendosse son identité publique de Bruce Wayne et fait appel à son meilleur ami d’enfance, aujourd’hui devenu chirurgien : Tommy Elliot.

Et tandis qu’il se remet de ses blessures, nombre de ses ennemis semblent travailler en réseau : Catwoman transmet son butin à Poison Ivy, elle-même au service d’un mystérieux commanditaire…

Et qui est ce mystérieux personnage, masqué par des bandelettes, qui semble surveiller Batman lui-même ?

Un polar gothique sous tension

Publiée entre 2002 et 2003 dans les numéros Batman #608 à #619, la saga « Batman : Silence » s’inscrit dans une période charnière du DC Universe. Gotham sort à peine de sa reconstruction1 après No Man’s Land et Lex Luthor est président des États-Unis, ce qui introduit une couche de tension politique latente bien qu’elle reste légère.

Avec ses 12 chapitres structurés comme un thriller (publiés sur une année), ce récit de Jeph Loeb et Jim Lee assume d’emblée une ambition : parcourir toute la richesse de la mythologie de Batman, tout en l’ancrant dans une intrigue contemporaine et tendue.

  1. La rançon
  2. L’ami
  3. La bête
  4. La ville
  5. Le combat
  6. L’opéra
  7. La blague
  1. Le défunt
  2. Les assassins
  3. (interlude) La cave
  4. La tombe
  5. Le jeu
  6. La fin

Il en résulte une œuvre dense, un poil confuse dans son dénouement, mais toujours généreuse en matière de tension dramatique, de flashbacks poignants, de cliffhangers en fin de chapitres et de visuels à couper le souffle.

« Tuer un homme n’est pas seulement détruire ce qu’il fût… Mais ce qu’il aurait pu être. »

– Batman

Une enquête à visages multiples

Loeb construit son récit comme une véritable enquête policière : Batman est confronté à une série d’événements chaotiques, chacun semblant orchestré pour l’atteindre à la fois physiquement et psychologiquement. La galerie des suspects s’allonge à chaque chapitre : Killer Croc, Catwoman, Poison Ivy, le sphinx, Ra’s Al Ghul, l’Épouvantail, Double-Face… jusqu’au Joker ou à l’intervention de Superman lui-même. Et les rebondissements sont nombreux !

Chacun de ces supervilains a globalement droit à un chapitre dédié. Certains sont poignants, comme celui dédié au Joker qui, sous couvert d’un long affrontement physique, s’avère trés poignant. Il revient sur le lien qui unit le Chevalier Noir et le Clown, balayant les crimes les plus attroces que ce dernier ait commis (le handicap et viol de Barbara Gordon, le meutre de Jason Todd, celui du lieutenant Essen…) et rendant poreuse la ligne rouge que Batman n’a jamais osé franchir : tuer le Joker. D’autres chapitres sont cependant plus anecdotiques, comme ceux centrés sur Ra’s Al Ghul ou le Sphinx.

Chacun de ces antagonistes agit de façon atypique, comme s’il avait été amélioré ou manipulé. Un fil rouge se dessine : un mystérieux homme aux bandelettes semble tirer les ficelles. Notez que Silence – puisque c’est son nom – n’est pas nommé avant la toute fin du récit. Et il faudra attendre les dernières pages pour que lson soit révélée — dans un twist retors et volontairement ambigu. Un choix scénaristique qui divisera, car si l’ensemble fonctionne, la résolution reste confuse, avec un enchevêtrement artificiel de complicités et un recours peu explicite aux Puits de Lazare 2.

Ce goût du mystère rappelle immédiatement Un long Halloween, autre œuvre de Loeb :

  • Même rythme en 12 chapitres,
  • Même connaissance (superficielle) de la mythologie batmanienne requise,
  • Même jeux sur les faux-semblants,
  • Même volonté de puiser dans toutes les dimensions de Gotham…
  • Et conclusion similaire, un peu décevante en vis à vis des péripéties qui tiennent en haleine.

Bruce Wayne, Batman, et les masques des émotions

Un des ressorts majeurs de la narration repose sur l’alternance entre Bruce Wayne et Batman. Là où le justicier affronte ses ennemis avec la froideur de l’analyse, Bruce révèle ses failles, ses douleurs, ses attachements : notamment via sa relation avec Tommy Elliot, chirurgien et ami d’enfance (un personnage introduit dans cet album, mais dont on retrouve les ancêtres dans l’excellent récit des Portes de Gotham). Mais aussi, bien évidement, dans sa romance désormais assumée avec Séline Kyle, alias Catwoman.

Le chapitre de l’opéra, réunissant Tommy, Selina, Bruce et la docteure Leslie Thompkins, offre une respiration théâtrale dans la tension continue du récit. Il réaffirme que la frontière entre l’homme et le masque n’est jamais étanche. Un aspect de Batman parfois supprimé par certains auteurs, mais que j’apprécie personnellement ! Autre exemple de ce jeu de dualité : la rencontre amusante avec Lois et Clark, qui introduit une brève mais significative tension entre Batman et Superman (manipulé ici par Poison Ivy).

Batman + Catwoman

La relation entre Batman et Catwoman constitue l’un des axes émotionnels majeurs du récit. Si leur rapprochement semble rapide au départ, et avec plutôt peu de pathos, leurs sentiments évoluent de manière fluide. On sent que Loeb veut poser les bases d’une relation adulte, conflictuelle mais sincère, et amenée à se poursuivre…

« A chaque pas que nous faisons l’un vers l’autre, on dirait… que nous nous éloignons. »

– Batman

Cependant, un point faible demeure : Selina ignore l’identité de Bruce alors qu’elle fréquente Bruce Wayne dans le civil — un détail peu crédible, qui casse momentanément l’illusion réaliste. Malgré cela, les scènes entre les deux personnages restent parmi les plus intenses du récit.

Le bestiaire de Gotham en ébullition

La richesse de Batman Silence tient aussi dans sa capacité à mobiliser, sans les noyer, une bonne partie des figures emblématiques de Gotham. Chacun est croqué avec soin : le Joker (terrifiant), Killer Croc (désormais reptile géant, à la limite du Lézard de Spider-Man), Poison Ivy (belle, glaciale et dangereuse), Lady Shiva (costume douteux mais chorégraphie percutante), etc. A ceux là s’ajoute la batfamily : Huntress (la justicière paria et expéditive), Nightwing (l’un de mes chouchous, hélas anecdotique ici), Robin (Tim Drake, parfaitement exploité)… Et même un double-face qui a désormais un visage complètement humain ; l’on en saura pas plus, sinon que l’explication est certainement dans un autre récit antérieur à celui-ci.

« Je vais te mettre KO avant que tu ne blesses quelqu’un. Moi, par exemple. »

– Catwoman

Certains choix de design ne feront pas l’unanimité (notamment celui de Croc), mais l’ensemble reste cohérent. Le retour de Jason Todd (ancien Robin de Batman pourtant mort et enterré) dans un combat dantesque sous la pluie et un ciel rouge, offre une séquence visuelle et émotionnelle particulièrement marquante. Une double page finale d’une puissance symbolique rare assure le climax de l’album.

La virtuosité graphique de Jim Lee

Jim Lee (qui a officié dans le trés bon Crise d’Identité) livre une performance d’anthologie. Son trait réaliste, dynamique, précis, s’illustre autant dans l’action que dans les pauses réflexives. Le découpage est savamment construit, avec des alternances de temporalité habilement gérées. Les flashbacks en aquarelle apportent une touche éthérée bienvenue, tandis que les pleines pages (le baiser de Catwoman, Superman sous contrôle mental…) s’imposent comme des tableaux iconiques.

Certaines compositions sont très techniques, jouant avec l’agencement des cases et le découpage des actions, celle-ci étant toujours parfaitement lisibles.

La qualité des costumes est également à souligné, tant la nuance est souvent difficile à trouver entre le classe et le ridicule, dans l’univers des superhéros (sans tomber dans la facilité du quelconque.)

Il emploie également la technique du ghosting pour détailler certains scènes. Vous pouvez en retrouver un exemple dans ce petit article dédié.

Un écrin éditorial d’une rare richesse

L’édition française dont je dispose (qui n’est pas celle proposée en réédition en cette année 2025) proposée par Urban Comics est particulièrement généreuse. En plus du récit principal, le lecteur y trouve :

  • Une longue interview croisée de Loeb et Lee, par chat internet, qui revient sur les coulisses du projet. Une partie de cette interview a récemment été mise en ligne sur le site de Urban : voyez ici. C’est assez amusant et interessant de lire leurs échanges, à froid, sur la création de l’album. Notez qu’ils mentionnent à de nombreuses reprises leur coloriste (Alex Sinclair) et leur encreur (Scott Williams), illustrant ainsi le fonctionnement de leur petite équipe artistique.
  • Une galerie de couvertures. Magnifiques. Notez que nombre d’entre elles sont des couvertures allégoriques, comme explicité par Lee lui-même dans les annexes de l’album.
  • Des commentaires détaillés pour chaque chapitre, accessibles en fin d’album. Rien de révolutionnaire, mais intéressant néanmoins : l’on voit à quel point les dessinateurs aiment cacher des allusions plus ou moins obscures.
  • Un sketchbook retraçant les étapes des compositions graphiques des planches (crayonnés, puis dessins avancés).

Seul défaut : l’absence de numérotation sur la plupart des pages rend difficile la corrélation entre les planches et les commentaires évoqués ci-dessus. Dommage pour un objet par ailleurs si bien édité.

Conclusions

Batman Silence est une fresque de l’intime et de l’héroïque, du doute et de la rage. Malgré un dénouement perfectible, il s’impose comme un jalon important de la continuité du Chevalier Noir, et comme l’une des plus belles prestations graphiques de Jim Lee.

À la croisée du thriller, de la tragédie et du feuilleton, Silence ravira les lecteurs aguerris et passionnera ceux qui aiment décortiquer les rouages narratifs d’un récit à la construction ciselée. Un chef-d’œuvre peut-être imparfait, mais nécessaire.

Sachez qu’à l’heure où j’écris cet article, Urban comics publie en français un Silence 2 (Déjà évoqué dans l’édito mentionné ci-dessus, il y a plus de 10 ans !), signé des mêmes auteurs. Certainement me plongerai-je dedans sous peu…

  1. Une reconstruction d’ailleurs un peu simpliste à mon goût, mais là n’est pas la question…[]
  2. Capables de ressusciter, dans la mythologie de Batman, et largement employés par Ra’s Al Ghul[]

Notes

Scenario : 7 / 10
Dessin : 9 / 10
Ambiance : 9 / 10
Note moyenne : 8.3 / 10

En savoir plus sur l'album...

Album : Batman Silence

Type de BD :

Editeur :

Collection :

Parution : mai 2013

Lien : Site officiel

Taille : 384 pages

Contenu : Btman #608 à #619

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