En l’absence de Bruce Wayne, c’est Dick Grayson (le premier Robin historique) qui porte le masque de Batman et mène l’enquète sur une grande quantité d’explosifs récemment introduite à Gotham City. Rapidement, les ponts de la ville sont pris pour cible, tandis que l’histoire ancienne de ses fondateurs semble ressurgir d’un passé trouble.
Un peu de contexte
Après avoir récemment relu le diptyque de la Cour des Hiboux, j’ai eu envie de continuer à explorer la géographie de Gotham ainsi que son histoire…
Et quoi de mieux que de me tourner vers le même auteur, Scott Snyder, pour se replonger dans ces « Portes de Gotham » dont j’avais gardé un souvenir plutôt bon mais diffus. Je l’ai relu à l’occasion d’un week-end que j’avais d’ailleurs dédié (involontairement) au Chevalier Noir…
En couverture souple et faisant assez peu de pages (un peu moins de 100, ce qui représente toute de même pas loin de deux albums de BD franco-belge), celui-ci fut publié par Urban Comics en 2012, au tout début du run de Snyder sur le Chevalier Noir1.
A cette époque de la continuité de Batman, Bruce Wayne a disparu et Dick Grayson a dont repris le costume. Nous sommes globalement entre les tomes 4 et 5 du run de Grant Morrisson publié par Urban Comics, alors que l’organisation Batman Inc vient d’être annoncée. Et nous nous plaçons quelques temps après les évènements de « No Man’s land » durant lesquels la ville fut traversée d’un séisme, et après l’excellent récit « Silence » (critiques à venir sur ces deux points, dans l’année à venir).
Double temporalité
Bien que l’histoire (complète) ne tienne que sur 5 issues, le scénario est diablement fouillé et joue avec brio sur une narration en double temporalité, alternant entre le présent (l’enquête de Batman et ses accolytes) et le passé (le développement de Gotham à la fin du XIXème siècle, porté par les frères Porter et poussé par les grandes familles de Gotham). Les deux fils scénaristiques s’alternent et s’entremèlent avec grande intelligence, suscitant des effets de styles et des twists très réussis !
Par les portes de Gotham, les familles tomberont.
L’Architecte
Les personnages sont plutôt nombreux :
Présent
Batman est bien sûr le personnage principal, avec une personnalité légèrement différente de d’habitude puisque c’est Dick qui endosse la cape.
Il est rejoint par Robin (Damian Wayne) génialement insupportable, Red Robin (Tim Drake) qui joue le rôle de coordinateur, ainsi que Black Bat (Cassandra Cain) qui est peut-être en trop, son rôle étant limité quoique pas inintéressant. Soulignons que nous avons ici nombre de protagonistes2 que nous retrouverons ensuite dans Batman Detective Comics !
L’action se déroule sur quelques jours.
Passé
Nous suivons les ingénieurs à l’origine de l’urbanisme moderne de Gotham, à savoir les géniaux Bradley et Nicholas Porter.
Ceux-ci sont financés et poussés par Alan Wayne (arrière grand-père de Bruce), Théodore Cobblepot (aïeul du Pinguin), Edward Elliot (ancètre de Tommy Elliot) ainsi que la famille Kane (d’où sera issue Batwoman).
L’action se situe à la fin du XIXème siècle, et s’étale sur plusieurs années (voire une ou deux décennies).
Gotham, cité vivante
Le récit explore avec efficacité l’histoire de Gotham, sa création et son évolution en pleine révolution industrielle. Mais il rend également la ville organique, croissante, concrète, faisant d’elle un personnage à part entière (c’est là l’une des marottes de Snyder, le scénariste, dans son travail sur Batman). Nous visitons ainsi différents ponts de Gotham City (le trigate, le pont Madisson, le pont Kane…) ainsi que la tour Wayne ou encore l’Iceberg Lounge.
Vous l’aurez compris, l’ambiance général est extrêmement travaillée, pour un résultat d’un très bon niveau !
Je ne m’attarderai pas trop sur les antagonistes, afin de ne pas trop spoiler. Mais celui qui s’avère être le méchant principal, introduit dans ce récit, se nomme l’Architecte. Et son charadesign est là encore trés réussi, avec un look steampunk efficace (et d’ailleurs souligné in universe par l’un des protagonistes).
Une atmosphère étouffante
L’ensemble du dessin est tout à fait réussi, bien que plusieurs dessinateurs se succèdent d’un issue à l’autre (le recueil n’en contient pourtant que cinq). Toutefois, chaque chapitre étant bien identifiable des autres grâce à l’insertion de couvertures de toute beauté, la différence de style se voit mais n’est pas gênante.
Chaque personnage est facilement identifiable, malgré leur nombre et la faible longueur de l’album (avec peut-être un bémol pour les visages de Dick et Tim, qui ne se distinguent que par leurs tailles). Le style est globalement assez simple, mais efficace. Les scènes d’actions se lisent avec facilité, et certaines compositions (parfois sur des double-pages) sont admirables. Je pense en particulier à la séquence du combat final, durant lequel deux actions ont lieu en parallèle : le découpage et la composition servent le propos avec brio et originalité. Je ne vous en montre volontairement pas d’extrait pour ne pas vous spoiler.
De manière générale, j’ai trouvé qu’une atmosphère plutôt chaude et étouffante se dégageait de l’album. Est-ce dû aux couleurs ? A la présence régulière de vapeur ? A l’ambiance suffocante de l’ère industrielle naissante ? Aux multiples explosions ? Aux scènes sous-marines ? Sans doute un peu de tout cela… L’aspect « étouffant » peut également se retrouver dans certains passages du passé, durant lesquels l’on voit (avec habilité) les jeux politiques et la recherche de puissance qui animent les différents clans fondateurs de Gotham, dans une amitié malsaine. Ces jeux sont intelligemment illustrés aux travers d’intérêts divergents malgré des projets convergents.
Tandis que je considérais que notre travail était de révéler la beauté inhérente à notre ville,
Bradley pensait que nous camouflions son visage hideux.
Nicholas Porter
Pour finir, notons que le dernier chapitre est peut-être un poil trop rapide sur sa conclusion (c’est un reproche souvent fait à Snyder). Si l’on prend le temps d’y réfléchir, les motivations de l’Architecte sont plutôt cohérentes et compréhensibles, mais elles sont assez vite exposées et survolées, et peuvent donc sembler un peu brouillonnes.
En conclusion, une très bonne lecture, courte et se suffisant à elle-même, comme on en trouve trop peu dans les comics de super-héros.