Comme cela m’arrive de temps en temps, j’ai eu envie de replonger dans un obscur album qui prenait la poussière dans ma bibliothèque. Aujourd’hui, je vous propose donc « Moi, Dragon », un album de fantasy signé en solo par un dessinateur que j’adore : Juan Gimenez !
Vue d’ensemble
Notez d’abord que l’ouvrage en lui-même a une histoire plutôt étonnante. Le premier tome fut publié par les éditions Le Lombard. Puis l’intégral des 3 opus le fût par Glénat. Entre les deux… rien ! En fait, les tomes 2 et 3 ne furent jamais édités sous forme d’albums individuels. Mon album intégral se subdivise donc en trois chapitres :
- La Fin de la Genèse
- Le Livre de Fer
- Les Immortels
Synopsis – Sous les fumées du volcan Ferona, le roi Belmont s’apprête à fêter dignement l’anniversaire de son règne, qui marque aussi la chute du souverain précédent, renversé de sa main. Son fils Jorkins et sa fille Silvia se préparent aux festivités, tandis qu’invités de marque et troubadours affluent au château de Rosenthall. Mais alors que l’inquiétante Madragon plane dans des cieux menaçants, la terrible Made Trofen a rassemblé une gigantesque armée de mercenaires et compte établir le siège de la forteresse. Pourtant, elle ne semble pas en vouloir à l’édifice ou ses occupants mais s’intéresse plutôt à des artefacts qui s’y cachent depuis des décennies…
Il faut le reconnaitre, cet ouvrage est assez étrange, ce qui est un euphémisme pour masquer ses trés nombreux défauts. Pourtant, je lui trouve une sympathie plutôt rafraichissante, de nombreuses bonnes idées, et un lore qui aurait mérité beaucoup mieux pour s’exprimer.
Storyline
Tout d’abord, signalons que le narrateur est un nourrisson (Niko) paradoxalement presque omniscient, ce qui en fait une originalité notable à exploiter. Pourtant, si cet état de fait sera argumenté (à défaut de pouvoir dire « expliqué ») au cours du récit, cela n’apporte absolument rien à l’histoire. Dommage !
Une saga familiale
Dés les premières pages, l’auteur nous introduit une très grande galerie de personnages, la plupart étant rapidement nommés, appelés à avoir une importance plus ou moins grande dans l’album, et reliés entre eux de manière plus ou moins complexe. Car oui, en premier lieu, « Moi, Dragon » est une saga familiale ! Les intrigues et secrets de famille seront dévoilés au fur et à mesure, dans un récit dynastique plutôt bien fichu… Si bien que l’on peut en tirer un arbre généalogique relativement complexe, que je me suis amusé à dessiner au fil de ma lecture. Je vous l’ai reproduit ci-dessous : attention, il constitue en lui-même un gigantesque spoiler ! Et pourtant, malgré de nombreux personnages aux apparences bien marquées – facilitant la lecture – les personnalités proposées sont assez plates, avec un charadesign qui confine la plupart du temps à un but basique (Treppo veut prouver sa valeur), ou à une fonction particulière (Rob sait fabriquer des armes).
Bien que l’histoire ne se déroule que sur quelques jours, les liens de sang et autres vengeances historiques nous sont dévoilés dans de (trop?) nombreux flashbacks, en particulier à partir du second chapitre. Cela complexifie artificiellement un scénario, qui ne l’est en réalité pas tant que cela et qui, sans être un chef-d’œuvre d’originalité, est plutôt bon. Il contient son lot de surprises, de morts, d’avancées et de suspens, malgré quelques facilités. On regrettera notamment l’utilisation un peu trop fréquente de la folie comme ressort scénaristique, qui apparait spontanément chez certains personnages, pour servir le récit (parfois avec succès et tragédie, parfois très artificiellement) mais sans explication in universe ni dénominateur commun.
Des dialogues catastrophiques
Au delà d’un scénario plutôt mal mis en œuvre, l’immense défaut de cet album réside en un mot : les dialogues ! Dans le meilleurs des cas, ils sont passables et servent le récit sans le marquer. Mais dans la majorité des cas, ils sont simplement faux !
Parfois totalement inutiles, faisant décrire aux personnages ce que le lecteur voit déjà. Parfois niais, avec des tirades faussement tragiques ou amoureuses. Parfois redondants, répétant ce qui a déjà été expliqué ou rappelant des évènements parfaitement intégrés. Parfois absurdes, menant à des échanges absolument pas crédibles. Parfois basiques, avec des tournures de phrases paradoxalement simples et pauvres (en opposition avec les tirades du narateurs, ou parfois plus simplement en opposition avec la vignette précédentes) et abusant des surnoms.
C’est la première fois que je me fais une telle réflexion : même si le scénario n’est pas parfait, ce sont clairement les dialogues de l’album qui le rendent finalement assez mauvais !
Des tableaux somptueux
Juan Gimenez, c’est avant tout un incroyable dessinateur, auteur de l’extraordinaire Caste des Métabarons en particulier.
Malgré un côté statique de ses personnages, même en pleine action, cela reste un délice de se plonger dans ses tableaux qui rendent ici gloire à la fantasy la plus fusieuse que l’on pouvait espérer contempler en ouvrant un livre intitule « Moi, Dragon »1.
Quelques pages sélectionnée ci-dessous sauront sans doute vous convaincre…
Toutefois, le dessin de Gimenez a peut-être le défaut de ses qualité… Frolant parfois le tableau d’art, il se détache finalement un peu du média BD. Et si chaque vignette peut être contemplée avec plaisir, l’ensemble de la composition des planches reste finalement assez classique. Seule petite coquetterie de l’auteur : les bulles sorte systématiquement et légèrement des cases.
Ajoutons à cela que dans les vignettes les plus petites, le style de Gimenez a tendance à devenir brouillon, rendant parfois difficile la lisibilité de certains détails, décors, voire visages. Cela reste toutefois assez anecdotique.
Epilogue
En conclusion ambivalente, les somptueux dessins servent un univers de fantasy classique mais efficace, dans lesquels les liens du sang et de la vengeance se dévoilent peu à peu… Hélàs, le scénario, s’il présente quelques faiblesse ou facilité, est totalement desservi par des dialogues cataclysmiques.
Un remake pourrait être intéressant 2, tant le lore et le scénario ont du potentiel. Mais l’on perdrait les dessins de Gimenez, qui constituent pourtant le principal intérêt de cet album…