Synopsis
Photographe et alpiniste amateur, Fukamachi découvre dans les ruelles de Katmandou un appareil photographique qui pourrait apporter un éclairage totalement différent sur la version officielle de la conquête du mont Everest...
Il enquête alors sur son actuel propriétaire, Habu, un alpiniste sulfureux tout autant que talentueux, nimbé de légendes urbaines et de mystères plus ou moins sombres. Au travers de ce voyage mental dans le temps, Fukamachi explore les différentes étapes de la vie de Habu, les rencontres qui l’ont forgé, les records qu’il a accompli…

Si vous me connaissez, ou si vous êtes un habitué de ce blog, vous savez que le manga, ce n’est vraiment pas mon rayon ! Et pourtant… Lors de mon dernièr anniversaire, il m’a été offert la série complète (5 tomes) du Sommet des Dieux ! Manga connu et encensé par la critique, c’est avec curiosité et une confiance relative que je lance donc dans plus de 1500 pages en hautes altitudes…
Une enquête sous haute altitude
Adapté du roman de Baku Yumemakura et mis en images par Jirô Taniguchi, Le Sommet des Dieux (SdD) plonge le lecteur dans un récit où l’énigme historique de Mallory et Irvine (disparus en 1924 sur l’Everest) s’entrelace avec une enquête contemporaine menée par Fukamachi. La découverte d’un appareil photo au détour d’une ruelle de Katmandou devient le point de départ d’un récit où se croisent mémoire, obsession et vertige des hauteurs. Le fameux appareil devient d’ailleurs rapidement anecdotique… sans doute reprendra-t-il de l’importance dans les tomes suivants.
Le scénario s’installe avec lenteur, parfois trop pour qui est (comme moi) étranger au monde de l’alpinisme, ses défis, son jargon… Si l’amorce paraît laborieuse, l’album gagne en intensité au fil de ses chapitres, notamment à partir de l’accident de Kishi, moment charnière qui injecte une réelle tension dramatique. L’ombre de Habu Joji, alpiniste de génie mais controversé, donne au récit toute sa densité tragique.
Personnages taillés dans la roche
La galerie de personnages se déploie progressivement au travers d’un mélange d’ombres et de lumières :
- Fukamachi, narrateur taciturne, dont la curiosité obstinée agit comme moteur du récit, entre le Népal et le Japon.
- Habu, surnommé le « serpent venimeux », figure magnétique et inquiétante, controversée mais géniale, tour à tour fascinante et repoussante.
- Kishi, compagnon de cordée condamné à une issue prévisible (classique : personnage absent du présent de narration mais découvert en flashback), dont la mort plane comme un spectre sur le flashback central avec une ambiguïté laissée volontairement ouverte aprés un set up – lui – peu subtil.
- Hase, rival plus construit qu’incarné, dont l’opposition avec Habu manque peut-être de naturel. Sa spécialité sont les ascensions en solitaire.
Cette constellation de figures, façonnées par la montagne, permet d’explorer les vertiges de l’ego, de l’endurance et du dépassement de soi. Les non-dits et les zones d’ombre participent à cette atmosphère particulière.
Un dessin entre réalisme et contemplation
Graphiquement, l’album surprend par son style très éloigné des codes manga traditionnels. Les phylactères verticaux rappellent la culture d’origine (les idéogrammes japonais d’origine étant verticaux, comme je me l’étais noté précédement) et j’ai noté un peu trop d’onomatopée en « ah », mais le trait reste clair, rigoureux, presque documentaire. Les costumes amples des années 90 feront sourire, mais les décors minutieux de des montagnes enneigées garantissent une immersion dans les hautes cimes.
Le choix narratif de longues séquences muettes ou ponctuées d’onomatopées minimalistes (parfois presque invisibilisées dans le décors) accentue le caractère contemplatif du récit. L’immersion se fait lente, parfois austère, mais toujours habitée.

Un objet-livre exigeant
L’album ne se contente pas d’être un récit : il est aussi un bel objet en soi. La présence d’un long éditorial introductif (ainsi qu’en post-face) témoigne d’une volonté de contextualisation érudite. Mais un peu vaine dans mon cas : ignorant tout des auteurs de l’album, de ceux qui signent cet édito, et n’ayant pas encore lu ledit album, une telle introduction peut même sembler un peu pompeuse…
Notez également que l’album est chapitré (avec des titres qui fleurent bon la poésie typiquement nippone…) :
- Le Sommet des Dieux
- La ville de toutes les chimères
- le loup affamé
- Oni-sura
- Première ascension
- Un farouche indépendant
- Le vent des cimes
- Ascension en solitaire
L’on pourra regretter l’absence de cartes topographiques qui auraient permis de mieux visualiser les massifs évoqués, de l’Himalaya aux Alpes japonaises. Mais sa fabrication robuste, renforcée par un signet intégré, confère au livre une dimension prestigieuse.
Verdict
Le Sommet des Dieux #1 pose les bases d’une saga à la fois documentaire et introspective. Si son rythme contemplatif et son prologue parfois aride risquent de désarçonner les lecteurs en quête d’action immédiate, l’œuvre trouve sa puissance dans l’élévation progressive de sa dramaturgie et dans le portrait fascinant de Habu. Une lecture un peu exigeante, mais qui récompense par son atmosphère unique.