Les destins de Fukamachi et Habu se sont enfin rejoints. Et ce dernier compte bien escalader l’Everest par la face sud-ouest, en solitaire et sans oxygène, établissant ainsi l’une des dernières « premières » encore jamais réalisées en alpinisme… Fukamachi entreprend de le suivre, tant pour assurer la couverture photographique de l’évènement, que pour affronter ses propres ambitions. Mais son entrainement et sa condition physique sont loin d’être au niveau de ceux de Habu.

Ce quatrième tome du Sommet des Dieux marque un nouveau tournant narratif. La rencontre entre Fukamachi et Habu, longtemps différée (ou amorcée en pointillés), est enfin consommée. Pourtant, le récit prend soin de brouiller les cartes par un préambule surprenant : une affaire de prise d’otage qui déstabilise un peu, avant d’installer la vraie tension dramatique… Cette jonction entre les deux protagonistes, parfois ressentie comme un peu artificielle, ouvre néanmoins sur des échanges au camp de base d’une intensité rare, où l’émotion et la retenue s’entremêlent : pourquoi un alpiniste gravit-il une montagne ?
Le cœur du volume repose sur le projet insensé de Habu : conquérir l’Everest par la face sud-ouest, en hivernale, en solitaire et sans oxygène. Un défi titanesque, qui agit comme catalyseur du récit. Fukamachi, dans l’ombre, choisit de le suivre avec son appareil, oscillant entre admiration et vertige face à ses propres limites.
Si l’on peut regretter une mécanique narrative parfois prévisible, la force de l’album tient à la mise en scène de la montagne (de nouveau au premier plan !) comme entité implacable. L’ascension devient autant un duel physique qu’un cheminement introspectif. L’ambiance, héritée des premiers tomes (le second en particulier), revient à son essence : l’homme seul face à l’immensité. Le lecteur est happé par ces moments de réflexion sur la survie, ponctués toutefois de quelques invraisemblances concernant l’endurance de Fukamachi (capable tantôt de flancher, tantôt d’affronter des parois entières avec une énergie presque surnaturelle).

Les personnages se dessinent avec toujours plus de netteté : Fukamachi reste dans l’hésitation et l’intimidation, tandis que Habu se consume dans une fièvre quasi maladive pour la montagne, tel un drogué de l’altitude. Cette opposition donne une profondeur dramatique au récit, en accentuant l’écart entre obsession et lucidité.
Le trait, sans éclat particulier, demeure solide et réaliste, fidèle aux canons de la série. Mais c’est dans le traitement des paysages que l’album prend son envol : chaque paroi, chaque amas neigeux est rendu avec une minutie qui restitue l’écrasante puissance de l’Himalaya. Le charadesign, en revanche, se révèle plus inégal : Fukamachi, notamment, apparaît en couverture sous des traits étonnamment peu reconnaissables. Serait-ce dû à la couleur…?
L’ambiance, vous l’aurez compris, domine et transcende l’ensemble : on retrouve ici le souffle épique et existentiel des premiers tomes. L’album se lit un peu comme une méditation sur la démesure humaine, sur ce qui pousse un alpiniste à défier la mort, non pour une récompense tangible, mais parce que « la montagne est là » – ou peut-être parce que lui-même est là.