Voilà trois ans que la théorie des Alter Ego a été rendue publique (fin de la saison 1).
Gail est un chercheur de renom. Homme séduisant au charisme magnétique, il collectionne toutefois plus les conquêtes que les découvertes scientifiques. Plutôt hostile à la théorie des Alter Ego, il est pourtant à la tête de la commission d’enquête de l’ONU, chargée de déterminer la véracité ou non de ladite théorie…
Et il semble ignorer la dangerosité du panier de crabes dans lequel il est volontaire entré…
Alter Ego est une série atypique car elle peut se lire dans (presque) n’importe quel ordre ! Récit chorale, il est proposé au lecteur de suivre un personnage différent par album, dans des péripéties qui se croisent et finissent par converger vers la conclusion. Thriller d’anticipation avec un soupçon de fantastique, il se décline en deux saisons de 11 tomes au total :
- La saison 1 propose six tomes achroniques avant de lire le tome de conclusion ;
- La saison 2 contient trois tomes également lisibles dans n’importe quel ordre avant l’ultime tome.

Dans cette seconde saison, donc, le ton est un peu différent de la première. Alors que les entités étaient présentées au lecteur comme des faits établis, cette seconde saison brouille un peu les pistes… Les Alter Ego ne sont plus une vérité absolue, mais une théorie avec ses faiblesses, ses imperfections, ses contres exemples, ses contradictions… Une excellente idée, qui ouvre le champs narratif aux doute, aux questions et aux factions s’opposant autour de l’existence ou non de ces entités.
Avec ce nouvel opus (premier que je lis de la saison 2) centré sur le personnage de Gail, la série Alter Ego développe son exploration d’un monde où science, croyances et intérêts politiques se télescopent. Après la révélation de l’existence des alter ego (à la fin de Ultimatum), la société mondiale est plus que jamais fracturée : entre ceux qui y voient une vérité salvatrice, ceux qui tentent d’en tirer profit, et ceux qui s’évertuent à rejeter cette hypothèse, le climat est tendu. Gail, rationaliste au passé de séducteur mondain, est mandaté pour trancher scientifiquement la question (en réalité, sa mission est même de décrédibiliser la théorie). Mais l’enquête prend rapidement un tour plus personnel et inattendu…
Le scénario prend le parti d’un thriller politique bien ficelé, où les tensions diplomatiques s’entremêlent aux doutes intimes du protagoniste. Si le revirement idéologique de Gail, d’abord sceptique puis convaincu par l’existence d’un phénomène plus vaste (et troublant), semble un peu rapide, il reste bien construit et crédible dans l’ensemble. Autour de lui gravite toute une galerie de personnages, de la séduisante Pia à la mystérieuse ange gardien, sans bien sûr oublier l’énigmatique Oesterheld qui souhaite mettre à profit la théorie des alter ego pour préparer l’avenir et construire une nouvelle économie mondiale. L’album culmine sur un excellent cliffhanger, renouant avec le goût de la série pour les fins ouvertes et chargées de promesses. On notera également l’intégration réussie de personnages croisés dans d’autres tomes, comme le professeur Pancini, Jonas, ou Camille, qui densifient le maillage de cet univers fictif.
Côté visuel, l’ensemble reste dans la continuité graphique de la série : un découpage clair et lisible, un trait plutôt réaliste qui n’en fait jamais trop. Le charadesign de Gail évoque immanquablement un George Clooney grisonnant (bien que doté d’un menton interminable), ce qui renforce son aura de séducteur ambivalent. Le soin accordé à la lisibilité de l’action et à l’efficacité narrative des planches contribue à maintenir la tension dramatique sans surcharge.
L’album interroge subtilement le rapport entre vérité scientifique et manipulation politique, entre croyance intime et exploitation de masse. Et au niveau personnel de Gail : la balance entre facilité et vérité. Des thèmes qui résonnent fortement avec les questionnements contemporains, le réchauffement climatique en tête…
Au final, Gail s’impose comme un tome charnière, qui fait à la fois avancer la méta-intrigue et introduit trés bien cette nouvelle saison, imaginée par le collectif d’auteurs de la série. Moins spectaculaire que certains tomes précédents, mais plus introspectif et politique, il offre une belle densité thématique tout en gardant un rythme haletant.