Préambule - Avant d'aller plus loin, avez-vous lu l'article SdD #4 : l'obsession de l'ascension jusqu'à la démesure ? Car l'article ci-dessous en est la suite...
L’intrigue suit immédiatement le final du tome précédent.
Habu se lance dans l’ultime l’escalade de l’Everest seul, en hivernale, sur un versant inédit et sans oxygène, tandis que Fukamachi l’observe et le photographie en entamant sa descente (incapable lui-même de continuer l’ascension).
Et ce qui devait finir par arriver arriva, Fukamaschi perd Habu de vue, et celui-ci ne redescendra pas de l’Everest. À son retour au Japon, la presse grand public s’est emparée du sujet… Mais devant les contre-vérités qu’il découvre partout, Fukamachi décide de publier sa version des faits et de dévoiler qui était vraiment Habu Joji.
Puis rapidement, l’appel de l’Himalaya revient à lui, de plus en plus pressant…

Dernier tome d’une fresque alpine devenue culte, ce cinquième volet du Sommet des Dieux atteint une intensité émotionnelle rare. Le récit alterne entre l’observation presque sacrée de la tentative solitaire de Habu Joji et le lent basculement intérieur de Fukamachi, témoin brisé d’une ascension impossible. Pour la première fois dans la série, la narration bascule (temporairement) du côté de Habu à la première personne, confirmant un esprit habité par l’obsession de la cime et par un rapport presque métaphysique à la montagne.
Si mes jambes refusent d’avancer, j’irai sur mes mains.
Si mes jambes refusent à leur tour, j’irai sur les doigts.
Et si mes doigts ne veulent pas… J’irai en mordant la neige à coup de dents.
Si je n’y arrive pas avec les dents, il me restera les yeux.
(…)
Si vraiment il n’y a plus moyen d’avancer même en y mettant toutes mes forces… Alors… J’irai avec le cœur.– Habu Joji
Fukamachi, lui – de retour au Japon – se heurte à une presse avide de sensationnel, multipliant approximations et falsifications. Cette dimension apporte une réflexion puissante sur la responsabilité envers la vérité et la mémoire des disparus.
Le lecteur plonge à nouveau dans une expérience sensorielle rare : vents acérés, parois surhumaines, souffle qui se dissout dans l’absence d’oxygène. L’album excelle lorsqu’il montre la lutte de l’alpiniste contre lui-même, et contre cette frontière invisible où la volonté humaine se transforme en folie sacrée.
Cet aspect est particulièrement présent dans la seconde moitié de l’ouvrage, lorsque l’on suit Fukamachi attaquer sa propre ascension de l’Everest. Malgré un passage un peu étrange sur son « mal de la montagne » à Tokyo, et malgré une interdiction officielle de retourner au Népal pour lui, nous suivons sa propre épopée, seul, sans objectif lié à Habu, sinon celui de marcher dans ses pas…
Ce cinquième volume offre ainsi quelques passages parmi les plus marquants de la saga. Parmi eux, la résolution d’un symbole central de toute l’œuvre : l’appareil photo supposé appartenir à George Mallory, peut-être témoin du premier sommet de l’histoire. Véritable McGuffin, l’objet boucle brillamment le cycle dans le dernier acte de l’album.
Le trait réaliste de Taniguchi offre une lecture d’une intensité peu commune, et confirmée. Les panoramas himalayens sont d’une beauté froide et monumentale, peut-être encore plus puissants lorsqu’on imagine ce qu’ils auraient pu devenir en couleur. Quelques pages méritent une attention particulière :



À la clôture de cette saga, je reste convaincu qu’il aurait été utile d’ajouter quelques éléments d’explication technique et géographique. Je pense en particulier à des cartes schématiques, permettant de comprendre qui est où et comment fonctionne les différents camps au fil des ascensions. Je pense également à une explication du jargon des alpinistes, tant dans leur matériel d’expédition que dans les notions qu’ils manipulent.
Ce tome explore des thèmes qui résonnent bien après la lecture :
- Le dépassement de soi jusqu’à la dissolution de l’identité ;
- La fatalité inhérente à l’engagement en haute altitude ;
- La mémoire et la vérité comme dernière corde reliant les vivants aux disparus.
C’est peut-être cela, la prouesse de ce final : montrer que l’Everest n’est pas une montagne à conquérir, mais un seuil à franchir. Certains en reviennent changés. D’autres y demeureront à jamais…
